sauver les lions grimpeurs d’arbres du parc national Queen Elizabeth
sauver les lions grimpeurs d’arbres du parc national Queen Elizabeth
7 février 2022
Le soleil se trouvant encore bien en dessous de l’horizon, la savane n’est que ténèbres et ombres. Mon impatience est telle que je ne peux plus attendre et démarre le véhicule tout-terrain. Avec des phares qui éclairent difficilement le chemin à suivre, je commence la recherche de l’un des groupes d’animaux les plus merveilleux du monde : les lions grimpeurs d’arbres d’Ouganda.
Après quelques kilomètres, le ciel s’éclaircit, me permettant de distinguer les grands figuiers africains qui se découpent sur la faible lumière de l’aube. Ce sont ces grands arbres qui peuvent m’aider à trouver ce que je cherche. Je sens l’excitation monter en moi même si je suis conscient des faibles chances de réussite de ma mission.
Tout à coup, deux grandes ombres apparaissent dans les hautes herbes. Mon cœur s’accélère. Je retiens ma respiration, très conscient de mon environnement alors que le temps semble s’arrêter. En un mouvement rapide, les ombres émergent dans la lumière. Il s’agit des légendaires « lions grimpeurs d’Ishasha », ceux-là mêmes que je cherchais, mais que je doutais de trouver !
Il s’agit de deux grands mâles, pas du tout intimidés par la présence du véhicule tout-terrain. Ils se dirigent d’un pas décidé vers leur destination, à quelques centaines de mètres de là, un gigantesque figuier africain.
Je gare le véhicule à la base du grand arbre, dans la position la plus favorable pour observer en toute sécurité l’action qui rend ces lions uniques et célèbres dans le monde entier.
Après quelques minutes, les deux grands lions arrivent à la base du grand tronc, et sans hésiter, l’un après l’autre, ils grimpent sur la première fourche de l’arbre. Les lions se posent avec agilité au bout de la branche robuste qui les accueillera probablement pour le reste de la journée, une performance étonnante pour ce type de félin lourd. Un lion mâle adulte peut peser jusqu’à 230 kg.
Un groupe de lions unique en son genre
Dans le reste de l’Afrique, les lions sont généralement capables de grimper, mais ils le font de manière maladroite, et uniquement en cas de besoins particuliers. Ceux du secteur d’Ishasha du parc national Queen Elizabeth en Ouganda (« Queen » pour les locaux) apprennent à le faire dès leur plus jeune âge, suivant leurs parents dans leurs acrobaties quotidiennes et devenant rapidement d’excellents grimpeurs. Mais pourquoi le font-ils ici et pas dans d’autres régions d’Afrique ? Probablement en raison de la combinaison simultanée de trois facteurs environnementaux : le climat chaud et humide (qui peut être atténué par la position élevée que confèrent les branches d’un arbre), la distance par rapport aux mouches tsé-tsé agaçantes au sol, et enfin, les grands figuiers africains qui sont relativement faciles à escalader et permettent une vue aérienne des proies potentielles en dessous, comme les antilopes qui broutent.
Un phénomène rare qui ne se produit qu’ici. Un spectacle à étudier et à protéger en raison de son caractère unique. La population de lions d’Ishasha ne compte pas plus de 35 individus et est malheureusement en danger, comme tout ce qui est rare et unique.
En effet, la mince bande du territoire d’Ishasha, où vit cette population très particulière de lions, est bordée à l’ouest par la République démocratique du Congo (RDC), tandis qu’à l’est, s’étend un territoire essentiellement consacré à l’élevage de moutons et de bovins. Le braconnage et le trafic d’espèces sauvages entre l’Ouganda et la RDC menacent considérablement la biodiversité de la partie occidentale de la vallée du Grand Rift, en particulier le parc national des Virunga en RDC et Queen en Ouganda. En outre, les lions sont également menacés par les conflits entre l’humain et la faune sauvage, ainsi que par les pièges et les empoisonnements utilisés en représailles.
Cette initiative est financée par le gouvernement des Etats-Unis au travers d’un financement du Bureau des affaires internationales relatives aux stupéfiants et à l’application de la loi (INL) et est soutenue dans sa mise en application par IFAW. IFAW collabore avec le Comité national néerlandais de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN NL) et ils se sont associés avec l’Autorité ougandaise de la faune sauvage (UWA) et l’Institut Congolais pour la Conservation (ICCN) pour lutter contre le commerce transfrontalier d’espèces sauvages entre les deux pays. Ce collectif travaille avec les membres des communautés locales pour combattre et prévenir la criminalité liée aux espèces sauvages. Il permet également aux écogardes de disposer des compétences et des outils nécessaires pour protéger les espèces sauvages menacées, comme les lions d’Ishasha, les pangolins et les éléphants.
Rejoindre les écogardes en patrouille
Lors de ma visite à Queen, j’ai eu l’occasion de rencontrer les équipes d’écogardes qui protègent les lions du parc et patrouillent dans la brousse à la recherche de braconniers.
Je pars avec l’une des équipes d’écogardes lourdement armés lors de l’une de leurs missions. Nous suivons de petits sentiers tracés par des gazelles, des buffles et des hippopotames parmi les épines, les ronces et les marais boueux. Les écogardes avancent en silence, guidés par l’expérience et un sens aigu de l’orientation. Ils se déplacent en éventail, souvent hors de vue les uns des autres, mais en contact permanent grâce à des sifflements courts et discrets qui sont convenus entre eux. Ils vérifient les chemins, la base des buissons et les points d’eau, à la recherche de la moindre trace. Finalement, ils découvrent le premier piège.
Je n’arrive pas à le repérer, même si l’écogarde en chef me le montre patiemment du doigt. La seule trace est un petit morceau de bois planté profondément dans la boue. Il l’enlève prudemment et révèle le câble d’acier invisible avec son nœud coulant qui capturerait inexorablement tout animal qui y resterait piégé.
Après avoir neutralisé le premier piège, les écogardes repartent en chercher d’autres. En fait, ils m’expliquent que les braconniers en placent toujours quatre ou cinq dans la même zone, pour faciliter leur récupération. Il ne faut pas longtemps pour trouver deux autres pièges de braconniers semblables au premier, et deux autres beaucoup plus robustes et lourds, probablement destinés aux buffles et aux hippopotames. Tout ça en moins de trois heures de patrouille.
Après cette mission, nous retournons au camp, où ils me montrent le container avec tous les pièges récupérés dans la brousse. La lourde porte s’ouvre pour révéler un nombre inimaginable de lacets, de câbles d’acier, de filets, de lances et de pièges de toutes sortes et de toutes formes, y compris de lourds pièges à ressort. Un arsenal étonnant qu’ils ont rassemblé au cours des cinq dernières années.
Le travail des écogardes semble souvent sans fin : un jour, les braconniers posent des pièges, le lendemain, les écogardes les retirent, et tout se répète jour après jour. Malgré ces défis, ils restent déterminés à construire un avenir meilleur pour la faune ougandaise.
Je suis touché par le simple commentaire d’un écogarde qui, souriant, me dit : « Eh bien, encore aujourd’hui, cinq animaux morts de moins. »
Paolo Torchio
Photographe de faune sauvage pour IFAW
www.paolotorchio.net
FB : @PaoloTorchioWildlifePhotography
IG : @p.torchio.images_from_the_wild
Cet article a été en partie financé par une subvention du Département d’État des États-Unis. Les opinions, constatations et conclusions énoncées dans le présent document sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du Département d’État des États-Unis.
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