les chiffres sur les requins ne mentent pas : l’UE doit limiter le commerce
les chiffres sur les requins ne mentent pas : l’UE doit limiter le commerce
28 février 2022
Après de nombreuses années passées sur différentes campagnes de conservation et de protection des animaux, on peut commencer à perdre de vue ce que certains chiffres représentent et avoir besoin de les relire pour essayer de visualiser ce qu’ils signifient réellement. C’est ce qui s’est passé lorsque nous préparions ce rapport d’IFAW sur le commerce mondial des ailerons et de la viande de requin. Vous vous rendez compte que certains faits isolés sont déjà choquants, mais en les rassemblant, l’urgence passe à un autre niveau. Voici trois informations auxquelles réfléchir pendant un instant :
- Jusqu’à une centaine de millions de requins sont tués chaque année dans le monde par la pêche commerciale. Une centaine de millions, chaque année. Il est déjà difficile de saisir un million, mais une centaine de millions, chaque année, cela dépasse l’imagination de tous.
- Un tiers de toutes les espèces de requins sont menacées d’extinction. Un tiers des espèces, menacées d’extinction.
- Seuls 25 % environ du commerce international des ailerons de requin sont soumis à des exigences de durabilité en matière d’approvisionnement. Autrement dit : 75 % ne le sont pas ! Ce qui veut dire que les pays peuvent commercialiser ces espèces de requins capturées sans s’assurer qu’elles proviennent d’une source légale ou qu’elles sont commercialisées en nombre durable.
Nous risquons de voir disparaître ces requins de notre vivant, et nous autorisons néanmoins la poursuite des captures et du commerce international sans mettre en place des systèmes de gestion appropriés. Il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps à ces faits pour arriver à la conclusion que quelque chose doit changer.
Quelle est la cause et qui est responsable ?
La demande d’ailerons et de viande est à l’origine du déclin choquant des populations de requins dans le monde. Cependant, alors que de nombreuses solutions proposées se concentrent sur les marchés asiatiques, où la plupart des produits dérivés sont vendus, il existe un autre acteur majeur de cette tragédie maritime qui a largement échappé aux projecteurs : l’Union européenne.
Dans cette nouvelle étude, IFAW a examiné les données douanières officielles des trois principales plaques tournantes du commerce en Asie où transite plus de 50 % du commerce mondial des ailerons (la RAS de Hong Kong, Singapour et Taïwan, province de Chine) et a couvert une période étendue (2003-2020) afin de détecter les acteurs clés et les tendances dans les données. Nous avons découvert des résultats surprenants : un total de 188 368,3 tonnes métriques de produits liés aux ailerons de requin a été importé dans ces trois pôles commerciaux, et les États membres de l’UE ont fourni un pourcentage important et croissant d’ailerons ces dernières années.
S’élevant en moyenne à 28 % au cours de l’étude, la proportion d’ailerons provenant de l’UE dans le commerce a commencé à augmenter régulièrement en 2017, et a été la source de plus de 45 % de toutes les importations d’ailerons de requins en 2020. Si l’UE ne modifie pas la façon dont elle commercialise les ailerons de requin, il est probable que ce pourcentage continuera à augmenter. L’Italie, l’Espagne et la Grèce sont les premiers importateurs de viande de requin, tandis que les premiers États membres exportateurs de nageoires de requin étaient l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, la France et l’Italie.
Un autre résultat surprenant est l’écart important entre les données d’importation des plateformes asiatiques et les données d’exportation de l’UE : les données d’importation agrégées affichent systématiquement un chiffre d’importation considérablement plus élevé que les données d’exportation correspondantes de l’UE, ce qui laisse supposer que le commerce des ailerons de requin pourrait faire l’objet de fausses déclarations. Il faudrait approfondir ce point.
L’étude révèle que l’UE fournit une grande partie des ailerons de requin du monde et qu’elle pourrait même devenir la principale source d’approvisionnement en ailerons de requin de ces plaques tournantes du commerce asiatique. Et bien que beaucoup fassent porter le poids du changement sur les pays consommateurs, principalement en Asie, les pays dont les flottes de pêche opèrent à l’échelle internationale et qui commercialisent des produits dérivés du requin sont également responsables du déclin de leurs populations.
Que peut-on faire ?
Les recommandations d’IFAW pour l’UE sont les suivantes :
- Améliorer l’enregistrement des données et des archives commerciales en révisant la nomenclature du système harmonisé (SH) pour les produits dérivés du requin et normaliser l’utilisation des codes avec les principaux partenaires commerciaux
- Veiller à ce que toute espèce de requin concernée par le commerce international de produits dérivés du requin soit inscrite à l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)
- Renforcer les capacités nationales de suivi du commerce sur le long terme par l’analyse des données commerciales
- Donner la priorité à l’utilisation des données commerciales pour lutter contre le commerce illégal de requins et de produits dérivés
IFAW demande instamment à tous les gouvernements d’inscrire à l’Annexe II de la CITES toute espèce de requins commercialisée. Cette inscription signifie que toute poursuite du commerce doit être prouvée comme étant légale et provenant d’une source durable. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une solution miracle pour sauver les requins, il s’agit d’une première étape nécessaire pour faire en sorte que le commerce mondial ne soit plus un facteur contribuant au déclin des populations de requins.
L’UE, qui est, comme le démontre notre rapport, un acteur clé sur le marché mondial du requin, a la responsabilité importante de veiller à l’exactitude des registres commerciaux et à la mise en place d’exigences de durabilité pour les requins commercialisés. Le fait d’assumer un tel rôle de leader inciterait sans aucun doute d’autres acteurs à faire de même, ce qui permettrait d’assurer un avenir meilleur et durable aux requins.
-Barbara Slee, Responsable CITES IFAW UE, Vie marine
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