Prendre soin des grands félins au milieu de la guerre

Une journée commence généralement par un check-up régulier, la distribution d’eau et, bien sûr, un repas copieux, qui doit être décongelé à l’avance. Ces carnivores ne manquent jamais de nous faire savoir qu’ils ont faim. Comme un chat domestique qui commence à miauler et à faire les cent pas à l’heure du repas, ses congénères sauvages en feront de même. 

Si la taille de leurs enclos temporaires complique la mise en place d’activités d’enrichissement variées car il n’y a pas beaucoup d’endroits où cacher de la nourriture ou placer une boîte en carton, nous avons fait preuve d’ingéniosité. Par exemple, nous avons suspendu des pneus au plafond ou les avons placés sur le sol (les lions adorent les faire rouler), nous leur avons donné des morceaux de viande plus gros, comme des pattes entières de bovins, et nous leur avons même proposé des citrouilles. Luladja et Queen, deux grands félins, adoraient faire rouler les citrouilles dans leur enclos pendant des jours, jusqu’à les réduire en miettes. 

Le vétérinaire local vient souvent, car le centre reçoit de nouveaux patients tous les jours : un chevreuil renversé par une voiture, par exemple, ou un blaireau mordu par des chiens, ou encore un cygne blessé à l’aile, entre autres, de sorte que les grands félins sont examinés très souvent. Je rends également visite aux félins jusqu’à dix fois par jour, et si je vois que l’un d’entre eux semble présenter le moindre problème, le vétérinaire vient le lendemain pour un bilan de santé complet. 

La plupart de ces animaux arrivent au centre dans un état de stress élevé et avec un poids insuffisant, bien que dans certains cas ce soit le contraire et qu’ils soient gravement en surpoids. Au bout d’environ six mois, un environnement calme et une alimentation adaptée peuvent leur permettre de retrouver leur poids de forme. 

Les enjeux pour les animaux face aux conflits humains 

Dans une région qui s’est habituée aux attaques de drones et de missiles, les animaux doivent composer avec le bruit important, les explosions et le stress. 

En décembre, nous entendions les alarmes d’attaques aériennes tous les jours ou tous les deux jours. Ce bruit retentissant est souvent accompagné par des explosions. Que ce soit à 4h ou à 14h, je me précipite pour vérifier les caméras de vidéosurveillance afin de voir si l’un des grands félins est en détresse. Lorsque les sons sont plus proches que d’habitude, je cours vers les enclos pour les voir directement. 

Le 16 novembre 2023, un missile est tombé à à peine 1 kilomètre de la clôture du centre. Une tigresse, Tygriulia, a été tellement choquée qu’elle s’est jetée contre le mur de l’enclos. Elle ne pouvait plus se tenir debout pendant quelques jours et avait d’importants hématomes. Cette situation a nécessité des soins vétérinaires intensifs. 

À cause de la guerre qui fait rage, la plupart des grands félins souffraient de contusions et de problèmes digestifs avant d’arriver au centre. Ces problèmes sont le résultat des explosions qui se sont produites à proximité et de l’ingestion de nourriture avariée en raison du manque de provisions. Beaucoup ont été abandonnés par leurs propriétaires. 

L’avenir des grands félins en captivité 

Mon objectif final est de replacer ces grands félins dans des endroits plus sûrs. Le plus grand défi est de trouver ces endroits. Il n’existe pas de sanctuaire spécialisé pour les grands félins en Ukraine, c’est pourquoi nous nous tournons vers d’autres pays européens. Mais ces structures sont déjà débordées par les animaux sauvés des cirques et par les saisies du commerce illégal. 

Malheureusement, en Ukraine, l’élevage de grands félins pour les particuliers et le commerce d’animaux exotiques est très répandu et non réglementé, ce qui ne fait qu’aggraver le problème des refuges surpeuplés. Les experts estiment qu’il y a encore des dizaines de lions chez des particuliers dans le pays, et que beaucoup continuent d’être abandonnés ou confiés, le conflit forçant les évacuations. 

Ces félins ne peuvent pas être remis en liberté, car ils ont été élevés de manière à dépendre de l’homme pour leurs besoins quotidiens, souvent dès l’âge de quelques semaines. Sachant que les félins apprennent de leur mère les techniques nécessaires à leur survie dans la nature, il est pratiquement impossible de garantir qu’ils seront capables de vivre en dehors de la captivité. 

Heureusement, certains ont trouvé leur foyer définitif : quatre lionceaux dont nous nous occupions sont récemment partis vivre avec nos amis du Wildcat Sanctuary, dans le Minnesota, aux États-Unis. Ils y vivront ensemble dans un habitat conçu spécifiquement pour leur espèce. 

Brave, un léopard africain, a été transporté chez AAP (Animal Advocacy & Protection), un centre de sauvetage spécialisé en Espagne, où il restera jusqu’à ce que l’équipe lui trouve un foyer plus définitif. 

Kiara, une petite femelle léopard noire sauvée du commerce d’animaux exotiques et amenée dans un centre de sauvetage en France, Tonga Terre d’Accueil, est une autre de ces histoires heureuses. Un autre groupe de lions, évacué d’Ukraine vers le zoo de Poznań en Pologne en juin 2023, sera bientôt transporté au Royaume-Uni. 

Une fois que j’aurai trouvé un nouveau foyer pour tous les grands félins qui se trouvent actuellement à Wild Animal Rescue, j’espère pouvoir me concentrer à nouveau sur le sauvetage et la réhabilitation de la faune endémique d’Ukraine.